Partenariats destinés à attirer les talents : équilibrer les besoins africains et européens

Written by ADEPT

1 février 2021

Partenariats destinés à attirer les talents : équilibrer les besoins africains et européens

 

Il s’agit de la deuxième et avant-dernière analyse produite par ADEPT sur le nouveau Pacte de l’Union Européenne sur la Migration et l’Asile publié par la Commission européenne en septembre 2020. Alors que la première offrait une vue d’ensemble du Pacte, nous allons maintenant nous concentrer sur l’impact potentiellement négatif des Partenariats destinés à attirer les talents – un dispositif de migration légale visant à combler les manques en matière de compétences et de talents dans l’Union européenne – sur l’Afrique et les mesures pour le prévenir. La troisième article présentera des propositions touchant au rôle de la diaspora africaine dans ces dispositifs.

Les Partenariats destinés à attirer les talents constituent l’une des innovations du nouveau Pacte de l’Union européenne sur la Migration et l’Asile, un cadre global englobant les dimensions externes et internes de la politique de l’UE en matière de migration et d’asile. Cet instrument est couplé au Réservoir de talents européen, une plate-forme européenne pour le recrutement international de travailleurs qualifiés. Comme expliqué dans l’analyse globale du Pacte produite par ADEPT, ce paquet est remarquable à bien des égards. Premièrement, il traduit la volonté de l’Union européenne (UE) de relever les défis résultant de sa main-d’œuvre en diminution rapide et vieillissante. Deuxièmement, conçus pour rendre l’UE plus attrayante pour les talents non européens, ces programmes faciliteront leur recrutement à partir de pays tiers. Troisièmement, l’approche partenariale entre ces derniers et l’UE en matière de mise en œuvre des propositions et telle qu’elle est présentée dans le Pacte doit être saluée.

Les modalités de mise en œuvre de ces instruments, qui pourraient par exemple s’inspirer des Partenariats pour la Mobilité des Compétences de l’Organisation Internationale pour les Migrations, seront essentielles à la réussite de ces initiatives et devront en conséquence faire l’objet de réflexion. Cependant, il apparaît primordial de déterminer les effets potentiellement négatifs sur le long terme des Partenariats destinés à attirer les talents sur les pays en développement en général et sur l’Afrique en particulier. Alors que ces Partenariats et le Réservoir de Talents européen offrent des avantages évidents tant pour les pays de destination que pour les migrants, les bénéfices qu’en retireront les pays d’origine restent flous – en particulier du point de vue du développement. L’augmentation des transferts d’argent, bien qu’ils soient largement bénéfiques pour les pays en développement, ne compensera probablement pas totalement la fuite des cerveaux induite. Durement touchée par l’impact économique du COVID-19, l’Afrique verra probablement sa trajectoire de développement pré-pandémique perturbée dans le futur. Dans ce contexte, les risques associés à ces dispositifs favorisant la mobilité de la main-d’œuvre et des compétences pour un continent déjà en proie à des pénuries de compétences devront être anticipés afin de les gérer, les éliminer ou les ramener à un niveau acceptable. À titre d’exemple, cela sera d’autant plus important dans le secteur de la santé – en cas de future pandémie notamment.

«Il apparaît primordial de déterminer les effets potentiellement négatifs sur le long terme des Partenariats destinés à attirer les talents sur les pays en développement en général et sur l’Afrique en particulier ».

Cela implique que soit adoptée en amont une approche concertée entre l’Europe et l’Afrique, et ce bien avant la phase de mise en œuvre. Il existe une fenêtre d’opportunité car la mise en œuvre des partenariats de talents manque à ce stade de clarté. Une réflexion approfondie devrait donc être menée sur la manière d’en tirer profit pour la transformation structurelle de l’Afrique. À cette fin, ce dispositif devrait prévoir deux mesures distinctes et complémentaires : une mesure centrale et une mesure d’accompagnement. La première, le transfert de compétences et de connaissances mis en œuvre dans le cadre de la réintégration des travailleurs migrants qualifiés dans leur pays d’origine et / ou de la migration circulaire, vise à garantir des avantages mutuels. La seconde devra prendre la forme de programmes de formation ou de perfectionnement à grande échelle et intensifs ciblant les communautés locales au profit direct des pays africains. Le partenariat noué entre l’Union européenne et la Fondation Tony Elumelu en décembre 2020 en vue, entre autres, de former et d’encadrer 2500 jeunes entrepreneurs africains, illustre le besoin criant d’une autonomisation de la population africaine afin de faire de ses composants des moteurs de croissance et de création d’emplois.

« Une réflexion approfondie devrait donc être menée sur la manière d’en tirer profit pour la transformation structurelle de l’Afrique ».

Pour que l’Afrique ne soit pas perdante, les Partenariats destinés à attirer les talents devront être guidés deux impératifs majeurs. D’une part, la nécessité de privilégier une vision à long terme au détriment du court-termisme. D’autre part, la nécessité de prendre en compte dans la même équation la demande de l’UE, l’offre de l’Afrique et ses besoins en main-d’œuvre qualifiée. Afin de répondre à ces deux exigences et de s’éloigner des initiatives axées sur l’Afrique et conçues unilatéralement par l’UE, telles que l’Alliance Afrique-Europe pour les investissements et les emplois durables, une action innovante et coordonnée doit être préconisée. Bien qu’il s’agisse d’un processus long, la réalisation systématique d’évaluations d’impact ex-ante menées conjointement par les parties européenne et africaine semble particulièrement pertinente puisque ces exercices visent à examiner les effets potentiels des politiques ou des programmes, notamment ceux socio-économiques, par le biais d’analyses prospectives. Chaque fois que cela est pertinent et faisable, ces évaluations seront effectuées aux niveaux suivants:

  • Echelon national par un pays africain et un pays européen envisageant un tel partenariat ;
  • Echelon continental par la Commission de l’Union africaine et la Commission européenne.

Disposer d’évaluations d’impact ex ante effectuées par la Commission européenne et celle de l’Union africaine apporterait une valeur ajoutée dans la mesure où ces organisation peuvent avoir une meilleure vue d’ensemble des pays africains et européens susceptibles d’être intéressés par un Partenariat destiné à attirer les talents et peuvent être en mesure de présenter l’impact des partenariats de talents sur une échelle beaucoup plus grande. Quel que soit l’échelon, la disponibilité et la fiabilité des données conditionneront la qualité de ces évaluations d’impact.

« Bien qu’il s’agisse d’un processus long, la réalisation systématique d’évaluations d’impact ex-ante menées conjointement par les parties européenne et africaine semble particulièrement pertinente ».

 Les Partenariats destinés à attirer les talents doivent donc être considérés en même temps comme une opportunité et un test pour le partenariat renforcé entre l’Europe et l’Afrique. Une occasion pour les deux parties de répondre conjointement à leurs besoins respectifs et un test quant à leur capacité à le faire.

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